Une étude récente, menée dans le secteur de la musique actuelle souligne que la pratique ins- trumentale pourrait apparaître comme genrée. C’est-à-dire que chaque instrument serait associé au genre masculin ou féminin. Cette association découlerait des stéréotypes qui sont quotidiennement véhiculés dans notre société, notamment à travers les médias, les produits cultu- rels ou la publicité.. Je n’arrivais pas à croire à cette étude. Il me sem- blait qu’en 2022, le monde avait suffisamment évolué pour que nous soyons à l’abri de ce genre de clichés. La réalité a surgi avec une violence inattendue, là où je m’y attendais le moins : lors des auditions pour la distribution de « Comment nous ne sommes pas devenues célèbres ». Je cherchais une jeune interprète capable de jouer de la basse pour tenir le rôle de la bassiste des Slits. Sur cinquante candidates, il n’y avait qu’une véritable bassiste, Kim, que j’ai engagée dans le spectacle. Lors de cette audition j’ai rencontré Laure-Marie, qui jouait remarquablement de la guitare électrique. En discutant avec elle, je découvre qu’elle a égale- ment un très bon niveau de saxophone. Je m’extasie : quel atout merveilleux. Grâce à ses compétences exceptionnelles, elle devait enchainer les engagements. Elle me répond avec un petit sourire mi triste mi amusé: En 2022 il est grand temps de représenter sur scène des héroïnes saxophonistes, batteuses, bassistes.
Les Slits se saisissent d’instruments de musique « virils » « réservés aux hommes » avec une audace rafraîchissante. J’aime à croire que cet exemple sera un déclencheur pour toutes les musiciennes en herbe qui verront ce spectacle.
Peut-être oseront-elles mettre leur violon au placard pour s’emparer d’une guitare électrique ou d’une batterie. Peut-être chanteront-elles à pleins poumons sans avoir peur d’être fausses, moches ou grosses. Peut-être que, comme les Slits l’ont fait en 1976, elles assumeront de prendre leur place. Peut-être que Laure-Marie jouera enfin du saxo- phone devant un public. Et peut-être que mon fils de six ans fera de la harpe quand il sera plus grand… En 2022, il serait temps.
Justine Heynemann
Rachel Arditi après des études de Lettres Modernes se forme au théâtre avec Francine Walter, et à la musique avec Gordana Vogric et à l’Ecole Normale de Musique de Paris. Elle débute très tôt sur les planches avec Bernard Murat, avant de nombreuses collaborations avec des metteurs en scène d’horizons variés. Elle tourne régulièrement pour le cinéma et la télévision. En 2023, elle publie son premier roman : J’ai tout dans ma tête. Avec Justine Heynemann, elle adapte Les petites reines et Songe à la douceur, coécrit Lenny, en hommage à Leonard Bernstein, et Punk.e.s. Après de études de Lettres modernes, Justine Heynemann crée la compagnie Soy création et met en scène des classiques revisités et des textes contemporains, dont La discrète amoureuse, prix Beaumarchais de la critique. En 2007, elle écrit sa première pièce Rose bonbon. En 2019, elle met en scène La Dama Boba, Tout ça, tout ça et reçoit le prix SACD de la mise en scène. En 2022, elle adapte Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir. Rachel Arditi et Justine Heynemann viennent d’adapter et de mettre en scène Culottées de Pénélope Bagieu pour la Comédie Française.
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