Le Blog du Comité des Jeunes

Post N°3

Denali
DENALI (de Nicolas Le Bricquir)
Compagnie Panorama, Mise en scène : Nicolas Le Bricquir



Une touchante introspective humaine.
Mise en scène mais également écrite par Nicolas Le Bricquir, Denali est une pièce de théâtre entièrement basée sur des faits réels, sans pour autant devenir un documentaire. Elle narre en toute neutralité l’histoire d’un groupe d’adolescents, dont une fille nommée Denali fait partie, ayant commis un acte horrible. Pour ce faire, la mise en scène est basée sur trois éléments majeurs:
-L’espace
La scène est scindée en son milieu, créant ainsi une séparation à la fois physique et métaphorique entre les différents lieux. Côté cour, un interrogatoire entièrement orthonormé dans lequel parallèles et perpendiculaires ne laissent place à aucune forme spontanée. Ce lieu représente l’humain dans sa forme la moins réelle, la moins authentique. Les personnages y mentent et y cachent leur véritable nature et la seule lumière présente dans cet interrogatoire est une lampe rectangulaire, soit une lumière humaine.
Côté jardin, un espace polyfonctionnel (tantôt une forêt, tantôt un salon...) derrière une toile sur laquelle sont projetées des images. C’est en ce lieu que les souvenirs sont joués, et c’est donc en ce lieu que la vérité se découvre au fil de la pièce. Cette matérialisation du passé ne connaît pas le mensonge et les personnages y sont absolument vrais ; presque parfois sauvages, tout comme les lumières qui ne sont plus seulement humaines mais également naturelles (dans la forêt par exemple). Les acteurs, et donc les personnages, voyagent en une fraction de seconde entre ces deux mondes que tout oppose, passant alors d’honnête à malhonnête, d’énervé à triste ou parfois de victime à agresseur.
-La lumière
Comme expliqué précédemment, la lumière joue un rôle clé dans l’opposition des espaces. Cependant, son utilisation ne s’arrête pas là. L’intensité de celle-ci varie d’une scène à l’autre et semble augmenter proportionnellement à l’avancement de l’enquête (plus il y a d’éléments découverts, plus la scène est éclairée) offrant alors un crescendo qui aboutit à un éclairage du public même. En effet, lors d’une scène presque finale dans laquelle la vérité explose, les spectateurs sont éclairés. De ce fait, ils passent d’un état passif à un état actif de questionnement, réalisant ainsi que chacun aurait pu être dans l’exacte situation des adolescents de la pièce (ce qui s’avère être vrai puisque Denali est un récit de faits réels).
-La son
Le son, en parallèle de la lumière, suit cette démarche d’absorption du spectateur en mêlant sons authentiques comme par exemple la musique (qui rappelle parfois étrangement celle de l’ œuvre Orange Mécanique de Stanley Kubrick) jouée en direct depuis la scène par une musicienne, et les sons intégrés comme ceux provenant de l’écran; qui est en réalité une toile transparente. Parmi ces sons « factices », se trouvent des vidéos, des sons de notifications… des sons de tous les jours permettant une immersion complète du public. Les sons en direct, eux, comprennent plusieurs musiques, les voix des acteurs et des coups de feu. Deux, ou plutôt le même joué deux fois. Ces deux tirs, et d’autant plus le premier, cassent de par leur force sonore et leur sens le rythme de la pièce et la continuité de celle-ci.
De plus, ils rappellent la violence de la situation et de la vie en général. Denali n’est cependant pas seulement un chef-d’œuvre de mise en scène. Non. C’est une provocation au classicisme et aux restrictions du théâtre d’antan, invitant alors chacun à assister à un art jadis réservé à une élite. Cette provocation se manifeste à travers plusieurs aspects.
- La proximité
L’ajout de génériques de fin et de début ainsi que le découpage des actes en épisodes rappellent le mode opératoire d’une série de site de streaming, et l’utilisation d’une télécommande par la musicienne pour passer ces génériques donne au spectateur l’impression d’être installé dans son salon, loin des inaccessibles théâtres parisiens réservés autrefois à la bourgeoisie.
- Les nuances
Dans le théâtre classique, une pièce tragique se doit de l’être du début à la fin. Ici, tragédie se mêle à humour, de la même façon que, envers les différents personnages, haine et empathie vont de pair. Ce sont ces nuances naturelles qui, par opposition au linéaire théâtre classique, offrent une histoire humaine et proche de la réalité. Cette humanité de la pièce touche le spectateur, contrairement aux pièces tragiques classiques où seule la haute noblesse était représentée, laissant de côté le peuple. Les nobles sont ici remplacés par des adolescents perdus, réduisant encore une fois l’écart entre le public et ce qu’il voit.
- Le modernisme
La provocation ne s’arrête pas là car dans la pièce, tout est fait pour défier la règle des trois unités. Celle-ci stipule que: l’action doit se dérouler en vingt-quatre heures (unité de temps), en un seul lieu (unité d’espace) et il ne doit y avoir qu’une seule intrigue (unité d’action). Bien que Denali ne soit centrée que sur une seule intrigue, les deux autres règles sont comme inexistantes. La scène est séparée en deux, créant ainsi, comme vu précédemment, plusieurs lieux, découpant alors l’espace et le temps. Des dates sont également affichées sur l’écran, explicitant davantage la pluralité du temps n’étant plus une unité comme l’ordonne la règle, mais un repère. S’ajoute à tous ces éléments l’utilisation de ce fameux écran, accroissant l’aspect moderne de l’œuvre et affirmant l’émancipation du classicisme.
Enfin, voici mon avis non plus en tant que critique mais en tant que Enzo, jeune spectateur.
Si j’ai tant apprécié cette œuvre, c’est parce que je me sens concerné par celle-ci et je suis certain que les autres membres du public partagent le même sentiment. La situation qui y est jouée aurait pu être celle de n’importe quel individu au monde. Pourtant, elle a touché des adolescents seuls et en manque de repères dans lesquels chacun peut s’entrevoir. Ils sont seuls de par leur position géographique (ils se trouvent en Alaska, soit un territoire souvent décrit comme hostile) et de par l’absence complète de parents.
Si vous regardez la pièce, ce que je vous recommande fortement, vous remarquerez qu’aucun parent n’apparaît; laissant les adolescents livrés à eux-mêmes. Vous me direz que Denali a un bébé, certes, mais cette fille n’est jamais ne serait-ce qu’aperçue. Or, sans cette fille, elle perd son statut de maman. De plus, c’est la mère de Denali qui s’occupe de l’enfant et non pas Denali elle-même.
Si je me suis senti concerné, c’est également parce que la pièce traite de sujets clés pour les jeunes: quête de richesse, recherche d’identité, envie de quitter le cocon familial pour voler de ses propres ailes… Ainsi, Denali touche tout le monde et donne donc envie de retourner au théâtre, contrairement au théâtre classique qui, bien que dénonçant souvent des faits de société encore d’actualité, repousse parfois le jeune public. Voilà pourquoi le classicisme a été un des fils conducteurs de cette critique. La mise en scène et le modernisme de la pièce ont également été une source d’inspiration pour moi puisqu’ils subliment l’histoire et la rendent accessible sans perdre la sincérité. Sincérité d’ailleurs transmise par des acteurs et des actrices remarquables effectuant de fugaces changements de costumes et d’émotions tout en gardant une excellente qualité de jeu.
Ce sont toutes ces raisons qui me font dire que cette mise en abîme de l’humain est un chef-d’œuvre hors normes.